Bouffée d’air pour la culture. Après six mois et demi de fermeture continue, les artistes vont enfin pouvoir repartager des émotions, des frissons avec le public. Les cinéphiles reprendre place dans leur fauteuil rouge préféré. Les festivaliers vibrer en musique et faire la fête ensemble. Il était temps !

Pour autant ce déconfinement de la culture est à nuancer. On n’oubliera pas la non-œuvre du gouvernement et de la ministre Bachelot en matière d’arts et de culture. Arbitrairement considérée non-essentielle depuis le premier confinement sanitaire, des milliers d’artistes ont sombré dans la pauvreté et n’ont pas été convenablement accompagnés par l’Etat. Privés de revenus, les aides d’urgence lâchées par le gouvernement n’ont pas suffi à prévenir leur précarité croissante. Il suffit de rappeler quelques éléments pour se rendre compte de l’abandon qu’ont subi les professionnels des arts et de la culture, par leur ministère de tutelle :

  • 86 % des artistes évoluant dans les arts graphiques, plastiques et photographiques ont essuyé une perte de revenus l’année dernière. Pour la moitié d’entre eux, cette baisse est supérieure à 50 % par rapport à 2019. Rien que pour le mois de février 2021, 52% des artistes n’auraient bénéficié d’aucune aide, très souvent considérés comme non éligibles aux critères. 
  • Le revenu brut mensuel moyen des intermittents a diminué de 400€ en 2020, selon l’Unédic. 
  • Des travailleurs, dont les artistes-auteurs, sont toujours privés d’un droit à l’accès au congé maladie, aux congés maternité et paternité.
  • Une majorité d’intermittents ont vu leur salaire moyen baisser en 2020 : 45 % des allocataires ont perçu un salaire mensuel brut inférieur à 500€, contre 9 % en 2019. 

La précarité des artistes ne date évidemment pas d’hier, mais force est de constater qu’elle s’est renforcée depuis le début des restrictions sanitaires. Le gouvernement a bien concédé une prolongation des droits des intermittents du spectacle jusqu’à fin décembre 2021, des mesures d’aide à la reprise d’activité en 2022, ainsi que des dispositifs spéciaux pour les jeunes (seuil d’accès à l’assurance chômage abaissé à 338h pour les moins de 30 ans seulement, notamment). C’est tout à fait insuffisant et discriminatoire. Les artistes réclament, à juste titre, « le maintien des droits pour tous les chômeurs, de la période de crise jusqu’à la reprise totale des activités au niveau de mars 2020 », ainsi que son élargissement à tous les travailleurs précaires, extras et saisonniers compris. De même, ils demandent l’accès au congé maladie et au congé maternité pour tous les travailleurs, un plan massif de soutien à l’emploi dans le secteur culturel, et des moyens pour garantir les droits sociaux (retraite, formation, médecine du travail, congés payés, etc.) car les caisses sont menacées par l’arrêt des cotisations. C’est en ce sens que j’ai récemment défendu à l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la niche parlementaire accordée chaque année à l’opposition, la mise en place d’un ‘’Domaine Public Commun’’. Celui-ci consisterait à partager les revenus des droits d’auteur, durant soixante-dix ans, entre les ayants-droits de l’artiste décédé et la société, par une retenue de 50%. Ces subsides serviraient alors à mettre en place une protection sociale digne pour les artistes, notamment celles et ceux qui ne bénéficient pas aujourd’hui du régime des intermittents du spectacle. Il s’agit ici d’instaurer un véritable statut social de l’artiste auteur.  Selon un récent sondage commandé par la France insoumise, 76% des personnes interrogées approuvent cette proposition. 

En outre, il faut saluer les milliers d’artistes mobilisé·es depuis début mars au sein du mouvement des Théâtres occupés. Au-delà des demandes sus-mentionnés, les occupant·es réclament le retrait de la réforme de l’assurance chômage. Cette dernière, qui concernerait l’ensemble des travailleurs français et pas seulement les artistes, est partiellement entrée en vigueur en novembre 2019, avant d’être suspendue au début de la crise sanitaire – signe de ses probables conséquences socio-économiques sur les demandeurs d’emploi. Pourtant, Emmanuel Macron et son gouvernement, arcboutés sur leur philosophie néolibérale et austéritaire, souhaitent mener la réforme à son terme avant la fin du quinquennat. De quoi s’agit-il ? Programmée pour le 1er juillet 2021, la réforme instituerait notamment un nouveau mode de calcul de l’assurance chômage (en prenant en compte les jours non-travaillés), et modifierait les conditions d’éligibilité au chômage (désormais, il sera nécessaire d’avoir travaillé 6 mois sur 24 au lieu de 4 sur 28). Cette nouvelle attaque à nos conquis sociaux pourrait pénaliser à terme 1.7 millions de personnes, selon l’Unédic. D’après l’organisme, ce nouveau mode de calcul entrainerait une baisse de l’allocation journalière de 17% en moyenne la première année pour 1.15 millions d’allocataires, et à long terme, 63% des allocataires percevront au total une indemnisation moins élevée. Une réforme catastrophique pour les chômeurs, dont beaucoup vont souffrir durablement de la crise sanitaire. 

Enfin, bien que le gouvernement ait annoncé la réouverture prochaine des lieux culturels, certes avec des restrictions drastiques pour le moment, il est un secteur qui n’a jamais rouvert le rideau depuis un an : les discothèques. Sur les 1600 en activité avant la crise, 10% auraient déposé le bilan ou sont en très grande difficulté. Pour éviter une faillite générale, le syndicat national des discothèques (SNDLL) a proposé un plan d’action au gouvernement, avec notamment maintien des aides après la réouverture et allongement de la durée des prêts garantis par l’Etat (PGE). 

Nul doute, donc, que les effets socio-économiques de la crise sanitaires seront durables. Pour autant, ils ne seront amoindris si le gouvernement s’acharne, durant les mois qui lui reste, à grignoter avec vigueur les droits sociaux des travailleur·euse·s et du reste des français·es.