Les débats concernant l’orientation de la Politique Agricole Commune (PAC) et de sa déclinaison nationale ont lieu en ce moment au sein des instances européennes et au ministère de l’Agriculture, et c’est en ce sens que j’ai rencontré le jeudi 6 mai les représentant·es du syndicat agricole Confédération paysanne en Ariège, qui avaient organisé une visite à la ferme « Champ Boule » située à Barjac.
Nous avons convergé sur de multiples points, notamment la nécessité d’une politique agricole qui soutienne de manière conséquente les agriculteurs dans leur bifurcation écologique, ainsi qu’un système d’aides qui encourage d’abord la création d’emplois plutôt que la course à l’agrandissement. Ce fut également l’occasion d’évoquer, de manière générale, la terrible situation du monde rural, qui souffre autant du changement climatique que d’un système les condamnant à la compétition, au détriment du bien-être et d’une stabilité économique.
De quoi parle-t-on ? Dès 2018, la Commission Européenne met en chantier la future PAC 2021-2027, avec pour ambition de mieux prendre en compte les défis environnementaux et climatique. C’est en ce sens qu’il est proposé de réformer les aides à la transition environnementale (les ‘’paiements verts’’), en créant de nouveaux ‘’écorégimes’’, subsides financiers censés rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs. Ces aides, conditionnées, donc, à la mise en place de pratiques vertueuses par les paysans, ont pourtant conduit à des résultats mitigés jusqu’à présent : en effet, seules 5% des fermes européennes ont dû changer leurs pratiques environnementales pour y avoir accès. On peut donc se permettre de douter de l’efficacité d’une telle mesure. Ces écorégimes font actuellement l’objet d’intenses débats au sein de l’UE, et on peut craindre un nouveau greenwashing. La FNSEA défend la possibilité d’accès de ces subsides à tous les agriculteurs, afin d’amorcer une véritable transition. Pour autant, la Confédération paysanne met en garde, sur le fait notamment que les actuels paiements verts ont entrainé de nouvelles lourdeurs administratives pour les paysans, sans impact réellement positifs pour l’environnement. De même, il n’est pas prévu d’augmentation du budget environnement dans la prochaine PAC.
Par ailleurs, l’Union Européenne, fidèle à sa doctrine mortifère de compétitivité, de concurrence à outrance et d’agriculture industrielle, ne semble pas vouloir revenir sur le fonctionnement de la PAC actuelle. En effet, celle-ci encourage la course à l’agrandissement, puisque, plus un agriculteur détient d’hectares, plus il touche des aides. Ceci conduit donc à un agrandissement toujours plus conséquent des exploitations agricoles : de 43 hectares de surface en moyenne en 2000, on est passé aujourd’hui à 63 hectares. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les 450 000 agriculteurs français qui œuvrent chaque jour pour une alimentation de qualité, et font ce qu’ils peuvent pour faire évoluer leurs pratiques. Mais plutôt, de dénoncer un système agricole européen toujours plus industriel, vantant la compétitivité à tout va, et qui met en péril la nature et les humains. La politique agricole de l’Union Européenne a clairement imposé aux agriculteurs une concurrence internationale féroce, renforcée par les récents accords de libre-échange et l’injonction à s’endetter pour s’agrandir, ce qui conduit à une situation ubuesque et profondément inégalitaire : en France, 20% des bénéficiaires de la PAC reçoivent 80% des fonds alloués. Dès lors, je vois d’un bon œil les propositions de la Confédération paysanne et du collectif Pour une autre PAC, qui appellent à une dégressivité des aides suivant le nombre d’hectares, afin de favoriser les premiers hectares. C’est-à-dire, finalement, une PAC sociale qui privilégie la course à l’emploi plutôt que la course à l’hectare.
Plus globalement, pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux actuels, il convient de rompre avec la PAC libre-échangiste, la PAC de la concurrence et la compétitivité, afin d’imposer un nouveau paradigme. Il s’agit de défendre un modèle agricole relocalisé, souverain, avec des paysans nombreux et bien rémunérés. Ce projet de société devra s’accompagner de plusieurs mesures, parmi lesquelles le plafonnement des marges de la grande distribution pour garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, un soutien financier conséquent à la transition, une politique de protectionnisme solidaire visant à encourager la relocalisation de notre production agricole et d’empêcher la concurrence déloyale, une politique de préemption pour soutenir l’installation de jeunes agriculteurs…
Il est grand temps de mettre le paquet sur l’agriculture française. De stopper l’hémorragie d’une baisse continue du nombre d’agriculteurs français : de 2 millions dans les années 1980, ils ne sont plus aujourd’hui que 450 000. De mettre un terme à leurs conditions de vie indignes : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, un tiers touche moins de 350 euros par mois. D’enfin, reconsidérer ces femmes et ces hommes comme les nourriciers de la Nation.
Cette course à l’agrandissement est une véritable injustice pour les jeunes qui voudraient s’installer en agriculture. Sur ma commune, les petites fermes ont disparu, avalées par un seul agriculteur qui les a toutes rachetées et qui laisse les terres où il ne peut passer avec le tracteur partir en broussaille…